La célèbre règle des 3V indique que 55% de la communication passe par le canal visuel, 38% par le canal vocal et seulement 7% par le canal verbal. Comment cette règle a-t-elle été découverte ? Et que vaut-elle vraiment ?
Vous avez certainement déjà entendu parler de la règle des 3V, parce qu'elle est constamment mentionnée par les conseillers en image, les experts de la communication, dans des articles de magazines ou encore par les adeptes de la Programmation Neuro-Linguistique.
Selon cette règle, 55% de la communication serait visuelle, 38% serait vocale et 7% serait verbale.
Personnellement, ces chiffres m’ont toujours paru trop précis pour s'appliquer à toutes les situations de communication. Du coup, j'ai décidé d'enquêter pour savoir d'où ils sortent et comment ils ont été calculés.
Les trois canaux de la communication
Si on ne rentre pas trop dans les détails, on peut effectivement dire que la communication passe par trois canaux :
- le canal verbal, qui correspond au contenu du message que vous voulez transmettre, c'est à dire au sens des mots que vous prononcez ;
- le canal vocal ou auditif, qui correspond à votre façon de prononcer ces mots : notamment le volume de votre voix, le ton sur lequel vous parlez, votre prononciation et votre débit de parole ;
- et le canal visuel, qui comprend quant-à-lui les expressions faciales, le contact visuel, les gestes, la posture, l'apparence physique, les vêtements, etc.
On pourrait argumenter qu'il existe d'autres éléments qui peuvent influencer la transmission du message, comme le canal olfactif par exemple. Parce que si la personne qui vous parle a une haleine de chiotte, ça va forcément diminuer le poids de ses arguments. Mais bon, on va pas chipoter.
En résumé, le canal verbal véhicule le fond du message, alors que les canaux vocal et visuel sont axés sur sa forme.
Donc si on reprend les chiffres de la règle des 3V, lorsque vous parlez le sens de ce que vous dites, le contenu de votre message ne constituerait que 7% du message transmis.
Si cette règle se vérifie, soit ça veut dire que les gens ne captent presque rien à ce que vous racontez, soit il y a une énorme masse d'information non-verbale qui passe en parallèle du message que vous voulez transmettre.
Dans les deux cas, ça ne paraît pas réaliste.
Les études de Mehrabian
En fait, ces chiffres très précis viennent de la combinaison des résultats de deux études réalisées par un chercheur du nom d'Albert Mehrabian en 1967.
1ère étude
Dans sa première étude, les sujets écoutaient neuf mots enregistrés :
- trois avaient une connotation positive (« miel », « cher » et « merci ») ;
- trois avaient une connotation neutre (« peut-être », « vraiment » et « oh ») ;
- trois avaient une connotation négative (« non », « brute » et « terrible »).
Ces mots étaient prononcés sur différents tons (positif, négatif ou neutre), et on demandait aux sujets de deviner les émotions ressenties par les personnes qui les prononçaient.
Les résultats de l'expérience ont montré que les sujets se basaient beaucoup plus sur le ton de la voix que sur le sens des mots prononcés pour évaluer l'état d'esprit du locuteur.
C’est à dire que si la voix de l’enregistrement disait le mot « brute » sur un ton positif, alors les sujets jugeaient que la personne qui avait prononcé ce mot était d’humeur positive malgré la connotation négative du mot « brute. »
Inversement, si la voix prononçait le mot « miel » sur un ton négatif, les sujets avaient tendance à attribuer à la personne qui avait prononcé ce mot une humeur négative malgré la connotation positive du mot.
2nde étude
Dans la seconde étude, les sujets avaient également pour instruction d’évaluer l’émotion ressentie par une personne à partir d’un enregistrement.
Sauf que cette fois, l’enregistrement ne comportait qu’un seul mot, « peut-être », choisi pour sa neutralité affective. Il n’y avait donc plus d’effet de la signification du mot.
En revanche, comme dans la première étude ce mot pouvait être prononcé de trois façons différentes : positive, neutre ou négative.
Et surtout, l’enregistrement était accompagné d’une photo, censée représenter le visage de la personne qui prononçait ce mot.
Sur cette photo, le visage pouvait afficher l’expression d’une émotion positive, neutre, ou négative.
Cette fois-ci, lorsque les sujets évaluaient l’émotion de la personne qui parlait, ils se basaient beaucoup plus sur l’expression de la photo que sur le ton de la voix.
Par exemple, si la personne prononçait le mot avec un ton positif mais qu’elle avait une expression négative sur la photo, alors les sujets lui attribuaient une émotion négative.
C’est en combinant les résultats de ces deux expériences que Mehrabian a élaboré la règle des 55-38-7.
Analyse
Je pense qu’à ce stade vous avez remarqué le problème :
- Les situations étudiées dans ces deux expériences sont complètement artificielles et loin de la réalité quotidienne.
- Les enregistrements ne contiennent pas vraiment de message verbal. Ce n’est pas parce qu’on prononce un mot qu’on envoie un message.
- Et surtout, on ne demandait pas aux sujets de retranscrire leur compréhension du message transmis, mais d’évaluer l’émotion du locuteur.
On peut également ajouter à ces critiques un certain nombre de biais méthodologiques : le nombre de sujets participant à l’expérience ridiculement petit, le fait qu’il ne s’agissait que de femmes et l’imprécision des termes « négatif » et « positif » lorsqu’ils qualifiaient le ton de la voix ou l’expression émotionnelle.
Parce qu’autant il n’existe pas 36 émotions positives, autant pour le côté négatif, on pourrait en citer un paquet : colère, peur, tristesse, ennui ou mépris par exemple.
Conclusion
Bref en conclusion, on ne peut pas dire que les valeurs de pourcentages de la règle des 3V soient une vérité absolue.
En fait, Mehrabian lui-même regrette que ses travaux soient aussi mal utilisés. Selon lui, son équation ne peut s’appliquer que dans des conditions similaires à celles de ses expériences, c’est à dire des interactions au cours desquelles les locuteurs communiquent leurs émotions et leurs sentiments.
En dehors de ce contexte, ces chiffres sont évidemment inexacts. Pour s’en convaincre, rien de plus simple, il suffit d’essayer de faire passer n’importe quel message autre qu’émotionnel de façon non-verbale. Par exemple, la date de la Révolution française ou le nom de votre animal de compagnie. C’est impossible.
J’ajouterai que ça ne rime à rien de diviser la communication en pourcentages. Dire que tel ou tel canal véhicule tant de pourcents de l’information n’a aucun intérêt. Ce qui compte vraiment, c’est la cohérence entre ces canaux.
La cohérence
Si un homme rentre d’une consultation chez le médecin et qu’il dit à sa femme que tout va bien avec un air triste, il y a incohérence entre ce qu’il dit verbalement et ce que son langage non-verbal envoie. D’un côté il dit que tout va bien, mais de l’autre, son corps envoie un signal complètement différent : quelque-chose le rend triste.
Peut-être que ça n’a rien à voir avec sa consultation chez le médecin. Peut-être qu’il vient de se rappeler un mauvais souvenir. Ou peut-être qu’il a reçu un message de son patron qui lui a annoncé qu’il est viré. Ou peut-être encore qu’il vient de lire les résultats des primaires à droite dans les actualités. Mais dans tous les cas, si sa femme perçoit une incohérence entre ce qu’il dit et son comportement non-verbal, elle jugera que c’est son corps qui dit la vérité. Et elle aura raison. Après, quant à savoir ce qui rend triste son mari, c’est une autre histoire. Dans ce cas, l’hypothèse la plus probable est que le médecin lui a annoncé une mauvaise nouvelle. Mais pour s’en assurer, il faudra le questionner.
C’est ce phénomène que reflètent les pourcentages de la règle des 3V de Mehrabian. On pourrait donc la reformuler ainsi : Quand les gens détectent une incohérence entre le message émis verbalement et le comportement non-verbal, dans une immense majorité des cas ils préfèrent se fier à ce dernier.
L’impact du non-verbal dans la communication est donc réellement décisif, même s’il est difficile à évaluer.
D’ailleurs, on s’en rend bien compte quand il nous manque. Quand on parle au téléphone par exemple, on est privé du canal visuel et une partie de ce qu’envoie notre interlocuteur nous manque.
Mais le pire reste la communication écrite, pour laquelle on est même privés du canal vocal. Aucune information non-verbale ne pouvant circuler, la communication écrite peut vite être sujette à malentendus.
C’est peut-être à cause de ce genre de malentendus que Scott Fahlmann, le 19 septembre 1982 aurait écrit le message suivant à ces collaborateurs : «Je propose d’utiliser la séquence de lettres suivante pour indiquer les blagues : :-) »
Les smileys étaient nés. Et leur succès illustre bien à quel point nous avons besoin du langage non-verbal pour fluidifier les rapports sociaux.
Sources :
- Atkinson, M. (2009, August 24). Mehrabian's moans about the myth. Retrieved November 27, 2016, from http://maxatkinson.blogspot.fr/2009/08/mehrabians-moans-about-myth.html
- Beaulieu, L. (2012, September 19). Les smileys ont 30 ans, et leur créateur n'est pas content ;). Retrieved November 29, 2016, from http://www.slate.fr/lien/61975/smileys-ont-30-ans
- Mehrabian, A., & Ferris, S. R. (1967). Inference of attitudes from nonverbal communication in two channels. Journal of consulting psychology, 31(3), 248.
- Mehrabian, A., & Wiener, M. (1967). Decoding of inconsistent communications. Journal of personality and social psychology, 6(1), 109.
Pour aller plus loin :
En fait, il semble que le canal qui transmet la connotation négative est celui à qui se fie la personne qui reçoit le message, que ce canal soit verbal ou non (Bugental, 1970, 1972, 1974). Ce ne serait donc pas un canal de communication qui serait privilégié par rapport à un autre, mais le contenu du message transmis.
Il semble également que plus il y a de mots (plus le message est long et complexe) et plus on accorde d'importance au canal verbal (Cline, 1972).
On accorde également plus d'importance au canal verbal quand il s'agit de porter un jugement cognitif plutôt qu'émotionnel envers la personne qui parle (Friedman, 1978).
Si on demande aux observateurs de juger si la personne qui parle est honnête ou si elle ment, là aussi on fait plus confiance au canal verbal (Kraut, 1978; Krauss, 1981).
Le sexe de la personne qui parle, de même que le sexe de la personne qui écoute, influence l'importance relative donnée à tel ou tel canal (Argyle, 1970; Rosenthal, 1979; Noller, 1980).
- Argyle, M., Salter, V., Nicholson, H., Williams, M., & Burgess, P. (1970). The Communication of Inferior and Superior Attitudes by Verbal and Non‐verbal Signals. British journal of social and clinical psychology, 9(3), 222-231.
- Bugental, D. E., Kaswan, J. W., & Love, L. R. (1970). Perception of contradictory meanings conveyed by verbal and nonverbal channels. Journal of Personality and Social Psychology, 16(4), 647.
- Bugental, D. E., Love, L. R., & Kaswan, J. W. (1972). Videotaped family interaction: Differences reflecting presence and type of child disturbance. Journal of Abnormal Psychology, 79(3), 285.
- Bugental, D. E. (1974). Interpretations of naturally occurring discrepancies between words and intonation: Modes of inconsistency resolution. Journal of Personality and Social Psychology, 30(1), 125.
- Cline, V. B., Atzet, J., & Holmes, E. (1972). Assessing the validity of verbal and nonverbal cues in accurately judging others. Small Group Research, 3(4), 383-394.
- Friedman, H. S. (1978). The relative strength of verbal versus nonverbal cues. Personality and Social Psychology Bulletin, 4(1), 147-150.
- Krauss, R. M., Apple, W., Morency, N., Wenzel, C., & Winton, W. (1981). Verbal, vocal, and visible factors in judgments of another's affect. Journal of Personality and Social Psychology, 40(2), 312.
- Kraut, R. E. (1978). Verbal and nonverbal cues in the perception of lying. Journal of personality and social psychology, 36(4), 380.
- Noller, P. (1980). Misunderstandings in marital communication: A study of couples' nonverbal communication. Journal of Personality and Social Psychology, 39(6), 1135.
- Rosenthal, R., & DePaulo, B. M. (1979). Sex differences in eavesdropping on nonverbal cues. Journal of Personality and Social Psychology, 37(2), 273.
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