dimanche 15 juin 2014

Qu'est-ce que le travail de deuil ?

La fin de la quatrième saison de Game Of Thrones approche, le 10ème et dernier épisode sera diffusé ce soir aux USA et dès demain en France. Il est donc temps de parler de... deuil.
Ne voyez pas là un spoiler. Je ne sais pas combien de Stark vont mourir dans l'épisode de ce soir et même si je le savais je ne vous le dirais pas.
 
Mais d'une part, quand on est fan de cette série il faut se préparer à cette éventualité, et d'autre part contrairement à une idée reçue le deuil ne concerne pas QUE le décès d'une personne mais la perte en général. Si bien que le simple fait de devoir patienter presque un an avant de voir la suite de la série pourrait justifier qu'on aborde le sujet.

George R R Martin : "Chaque fois que quelqu'un me demande combien de temps avant le prochain livre, je tue un Stark." Tony Stark : "Voilà mon adresse : 10880 Malibu Point, 90265. Je laisserai la porte non verrouillée."

Le travail de deuil

De nos jours, tout le monde ou presque a entendu parler des étapes du deuil décrites par Elisabeth Kübler-Ross en 1969, grâce au cinéma et aux séries télé.
Ces stades sont notamment évoqués dans la série Grey's Anatomy (saison 6, épisodes 1 et 2). Ils sont aussi cités par le Dr House (saison 2, épisode 1), dans un épisode de Monk (saison 5 épisode 7) ou encore dans la série Scrubs (saison 5, épisode 13).
  
Elisabeth Kübler-Ross a défini ce modèle à partir de ses observations de malades en phase terminale. Elle a observé qu'à l'annonce de leur propre mort à venir, ceux-ci passaient tous plus ou moins par les mêmes cinq étapes successives. Par la suite, l'auteure a étendu sa théorie pour l'appliquer à toute sorte de perte catastrophique.
 
Ces cinq phases sont :
  1. le déni ;
  2. la colère ;
  3. le marchandage ;
  4. la dépression ;
  5. et enfin l'acceptation.



Le déni
La première réaction lorsqu'on apprend une perte est de refuser d'y croire : "ils ont dû se tromper," "ce n'est pas possible." Etc. 
Il s'agit d'une réaction normale, un mécanisme de défense qui permet "d'amortir" le choc. Au cours de cette étape du deuil généralement courte, la personne ne montre en général aucune émotion.

La colère
Quand le déni s'efface, il laisse peu à peu sa place à la colère. La colère ressentie est là encore une défense face à la perte. La personne en deuil ressent une forte injustice et peut chercher un responsable sur qui déverser ses reproches ou sur qui se venger.
La colère peut être dirigée contre des objets inanimés, de parfaits étrangers, des amis, la famille... La colère peut même être dirigée contre l'être cher qu'on vient de perdre et dont on fait le deuil. Dans ce cas, cela génère de la culpabilité.
Lorsque la mort survient à l’hôpital ou des suites d'une maladie, le personnel soignant est malheureusement fréquemment pris pour cible par la famille.
 
Le marchandage
Le marchandage est une phase qui peut impliquer des négociations, des chantages, ou tout simplement l'imagination d'alternatives qui se seraient produites si on avait agi différemment.
Le marchandage est une tentative pour comprendre, pour regagner le contrôle. Il s'agit là encore d'un moyen de défense contre les sentiments de détresse et de vulnérabilité.
"Si seulement on avait consulté un médecin plus tôt." "Si seulement on avait cherché un second avis de la part d'un autre médecin." "Si seulement on avait passé plus de temps ensemble." Etc.


La dépression
Il s'agit en général de la phase la plus longue du processus de deuil si l'on excepte l'acceptation. Cette phase est caractérisée par une grande tristesse, des remises en question, de la détresse.

A mon sens, le terme dépression est inapproprié pour caractériser cette phase. Il serait plus juste de parler de déprime ou tout simplement de tristesse car être triste lorsqu'on a perdu un être cher est normal. Il n'y a pas de raison de considérer cette phase du deuil comme une psychopathologie.
 
Ce terme reflète surtout le malaise de ceux qui côtoient les personnes endeuillées, qui ne savent pas très bien comment s'y prendre et qui croient bien faire en poussant la personne à sortir de son deuil le plus vite possible.
Dans son article War on Grief: Why Does My Grief Make You Nervous? Pamela Cytrynbaum exprime sa révolte, face à ceux qui tentent de la "réparer" après la mort de son frère, en ces termes : "Nous parlons du deuil comme un processus et un voyage, alors comment peut-il y avoir un tableau de bord, un emploi du temps évaluant combien de douleur est trop de de douleur ?"

Bien sûr, dans certains cas le deuil peut déboucher sur une véritable dépression. Mais dans ce cas la tristesse ne se manifeste pas de la même façon. La personne véritablement dépressive aura du mal à exécuter les tâches quotidiennes, restera prostrée, s'isolera complètement, etc. Et ce sur une longue période.

L'acceptation
Atteindre cette dernière étape du deuil, lors de laquelle la réalité de la perte est comprise et acceptée, n'est pas donné à tout le monde. Cette phase est marquée par le calme et la sérénité. Il ne s'agit pas vraiment de bonheur à proprement parler, même si la personne peut à nouveau éprouver des émotions positives. Cette phase est atteinte quand l'endeuillé(e) retrouve son plein fonctionnement et qu'il(elle) a réorganisé sa vie en fonction de la perte.

Mais la réalité n'est-elle pas plus compliquée ?

Cependant, ces étapes ne sont pas gravées dans la pierre. Chaque personne réagit différemment face à la perte, ce qui explique que ce modèle n'est pas validé de façon consistante par la recherche. En réalité, Elisabeth Kübler-Ross admettait elle-même :
  • que l'ordre de ces étapes pouvait varier selon les personnes et selon les situations ;
  • que certaines étapes peuvent être "sautées," en particulier lorsque la perte n'est pas très importante (un boulot pas si bien payé par exemple) ;
  • que la progression le long de ces étapes n'est pas forcément constante et unidirectionnelle, il peut se produire des retours à des étapes précédentes par exemple ;
  • que ce modèle en cinq étapes n'a pas pour but de refléter toutes les émotions possibles et imaginables que l'on peut ressentir en cas de deuil ;
  • et enfin que certaines personnes peuvent rester bloquées à une de ces étapes, c'est là que le deuil devient pathologique.
Donc en résumé, il s'agit plus d'un guide général, un peu comme le Code de la piraterie dans Pirates des Caraïbes. La plupart du temps on suit plus ou moins les étapes de ce modèle, mais il est fréquent de prendre des libertés.
 

Quelques conseils pour finir

Surmonter la perte d'un être cher est une expérience profondément personnelle et unique. Si vous faites partie de l'entourage d'une personne en deuil, sachez que personne ne peut aider un(e) endeuillé(e) à passer ce moment plus facilement ni comprendre les émotions qu'il(elle) traverse. Ce que vous pouvez faire, en revanche, c'est être là et accepter ses émotions négatives.

Si vous êtes une personne en deuil, alors dans ce cas le mieux à faire est de vous autoriser à ressentir la perte comme elle se présente à vous. Résister ne fera que prolonger le processus naturel. Un peu comme se débattre dans des sables mouvants ne peut que contribuer à vous enfoncer encore plus.