dimanche 15 juin 2014

Qu'est-ce que le travail de deuil ?

La fin de la quatrième saison de Game Of Thrones approche, le 10ème et dernier épisode sera diffusé ce soir aux USA et dès demain en France. Il est donc temps de parler de... deuil.
Ne voyez pas là un spoiler. Je ne sais pas combien de Stark vont mourir dans l'épisode de ce soir et même si je le savais je ne vous le dirais pas.
 
Mais d'une part, quand on est fan de cette série il faut se préparer à cette éventualité, et d'autre part contrairement à une idée reçue le deuil ne concerne pas QUE le décès d'une personne mais la perte en général. Si bien que le simple fait de devoir patienter presque un an avant de voir la suite de la série pourrait justifier qu'on aborde le sujet.

George R R Martin : "Chaque fois que quelqu'un me demande combien de temps avant le prochain livre, je tue un Stark." Tony Stark : "Voilà mon adresse : 10880 Malibu Point, 90265. Je laisserai la porte non verrouillée."

Le travail de deuil

De nos jours, tout le monde ou presque a entendu parler des étapes du deuil décrites par Elisabeth Kübler-Ross en 1969, grâce au cinéma et aux séries télé.
Ces stades sont notamment évoqués dans la série Grey's Anatomy (saison 6, épisodes 1 et 2). Ils sont aussi cités par le Dr House (saison 2, épisode 1), dans un épisode de Monk (saison 5 épisode 7) ou encore dans la série Scrubs (saison 5, épisode 13).
  
Elisabeth Kübler-Ross a défini ce modèle à partir de ses observations de malades en phase terminale. Elle a observé qu'à l'annonce de leur propre mort à venir, ceux-ci passaient tous plus ou moins par les mêmes cinq étapes successives. Par la suite, l'auteure a étendu sa théorie pour l'appliquer à toute sorte de perte catastrophique.
 
Ces cinq phases sont :
  1. le déni ;
  2. la colère ;
  3. le marchandage ;
  4. la dépression ;
  5. et enfin l'acceptation.



Le déni
La première réaction lorsqu'on apprend une perte est de refuser d'y croire : "ils ont dû se tromper," "ce n'est pas possible." Etc. 
Il s'agit d'une réaction normale, un mécanisme de défense qui permet "d'amortir" le choc. Au cours de cette étape du deuil généralement courte, la personne ne montre en général aucune émotion.

La colère
Quand le déni s'efface, il laisse peu à peu sa place à la colère. La colère ressentie est là encore une défense face à la perte. La personne en deuil ressent une forte injustice et peut chercher un responsable sur qui déverser ses reproches ou sur qui se venger.
La colère peut être dirigée contre des objets inanimés, de parfaits étrangers, des amis, la famille... La colère peut même être dirigée contre l'être cher qu'on vient de perdre et dont on fait le deuil. Dans ce cas, cela génère de la culpabilité.
Lorsque la mort survient à l’hôpital ou des suites d'une maladie, le personnel soignant est malheureusement fréquemment pris pour cible par la famille.
 
Le marchandage
Le marchandage est une phase qui peut impliquer des négociations, des chantages, ou tout simplement l'imagination d'alternatives qui se seraient produites si on avait agi différemment.
Le marchandage est une tentative pour comprendre, pour regagner le contrôle. Il s'agit là encore d'un moyen de défense contre les sentiments de détresse et de vulnérabilité.
"Si seulement on avait consulté un médecin plus tôt." "Si seulement on avait cherché un second avis de la part d'un autre médecin." "Si seulement on avait passé plus de temps ensemble." Etc.


La dépression
Il s'agit en général de la phase la plus longue du processus de deuil si l'on excepte l'acceptation. Cette phase est caractérisée par une grande tristesse, des remises en question, de la détresse.

A mon sens, le terme dépression est inapproprié pour caractériser cette phase. Il serait plus juste de parler de déprime ou tout simplement de tristesse car être triste lorsqu'on a perdu un être cher est normal. Il n'y a pas de raison de considérer cette phase du deuil comme une psychopathologie.
 
Ce terme reflète surtout le malaise de ceux qui côtoient les personnes endeuillées, qui ne savent pas très bien comment s'y prendre et qui croient bien faire en poussant la personne à sortir de son deuil le plus vite possible.
Dans son article War on Grief: Why Does My Grief Make You Nervous? Pamela Cytrynbaum exprime sa révolte, face à ceux qui tentent de la "réparer" après la mort de son frère, en ces termes : "Nous parlons du deuil comme un processus et un voyage, alors comment peut-il y avoir un tableau de bord, un emploi du temps évaluant combien de douleur est trop de de douleur ?"

Bien sûr, dans certains cas le deuil peut déboucher sur une véritable dépression. Mais dans ce cas la tristesse ne se manifeste pas de la même façon. La personne véritablement dépressive aura du mal à exécuter les tâches quotidiennes, restera prostrée, s'isolera complètement, etc. Et ce sur une longue période.

L'acceptation
Atteindre cette dernière étape du deuil, lors de laquelle la réalité de la perte est comprise et acceptée, n'est pas donné à tout le monde. Cette phase est marquée par le calme et la sérénité. Il ne s'agit pas vraiment de bonheur à proprement parler, même si la personne peut à nouveau éprouver des émotions positives. Cette phase est atteinte quand l'endeuillé(e) retrouve son plein fonctionnement et qu'il(elle) a réorganisé sa vie en fonction de la perte.

Mais la réalité n'est-elle pas plus compliquée ?

Cependant, ces étapes ne sont pas gravées dans la pierre. Chaque personne réagit différemment face à la perte, ce qui explique que ce modèle n'est pas validé de façon consistante par la recherche. En réalité, Elisabeth Kübler-Ross admettait elle-même :
  • que l'ordre de ces étapes pouvait varier selon les personnes et selon les situations ;
  • que certaines étapes peuvent être "sautées," en particulier lorsque la perte n'est pas très importante (un boulot pas si bien payé par exemple) ;
  • que la progression le long de ces étapes n'est pas forcément constante et unidirectionnelle, il peut se produire des retours à des étapes précédentes par exemple ;
  • que ce modèle en cinq étapes n'a pas pour but de refléter toutes les émotions possibles et imaginables que l'on peut ressentir en cas de deuil ;
  • et enfin que certaines personnes peuvent rester bloquées à une de ces étapes, c'est là que le deuil devient pathologique.
Donc en résumé, il s'agit plus d'un guide général, un peu comme le Code de la piraterie dans Pirates des Caraïbes. La plupart du temps on suit plus ou moins les étapes de ce modèle, mais il est fréquent de prendre des libertés.
 

Quelques conseils pour finir

Surmonter la perte d'un être cher est une expérience profondément personnelle et unique. Si vous faites partie de l'entourage d'une personne en deuil, sachez que personne ne peut aider un(e) endeuillé(e) à passer ce moment plus facilement ni comprendre les émotions qu'il(elle) traverse. Ce que vous pouvez faire, en revanche, c'est être là et accepter ses émotions négatives.

Si vous êtes une personne en deuil, alors dans ce cas le mieux à faire est de vous autoriser à ressentir la perte comme elle se présente à vous. Résister ne fera que prolonger le processus naturel. Un peu comme se débattre dans des sables mouvants ne peut que contribuer à vous enfoncer encore plus.

lundi 27 janvier 2014

L'optimisme est-il bon pour la santé ?

L'optimisme de Bugs Bunny est-il dû à sa consommation de carottes ?
L'indéfectible optimisme de Bugs Bunny est-il dû à son régime alimentaire ?

Il y a quelques temps, je suis tombé sur une recherche montrant qu'il existe un lien entre la consommation de carottes (et plus précisément de bêta-carotène) et la tendance à l'optimisme.

Pour résumer, l'étude en question montre que les gens qui mangent beaucoup de carottes sont plus optimistes.

Par contre, avant de dévorer huit carottes par jour dans l'espoir de voir en toute circonstance le verre à moitié plein, attendez un petit peu. En effet, l'étude n'a montré qu'un lien de corrélation, et non de causalité. Il y a donc trois explications possibles à ce phénomène :
  1. soit c'est la consommation de carottes qui rend optimiste (et si c'est le cas, ça vaut le coup de se goinfrer de carottes) ;
  2. soit, à l'inverse, c'est le fait d'être optimiste qui conduit à faire plus attention à sa santé en mangeant plus de légumes, dont des carottes ;
  3. soit, dernière possibilité, il existe une troisième variable qui rend à la fois optimiste et mangeur de carottes. Par exemple, une tendance génétique, un style d'éducation, un statut socio-économique élevé, etc.
sculpture de carottes en forme de homard
En tout cas on ne peut pas dire que les mangeurs de carottes manquent de créativité.

Il ne fait aucun doute que les chercheurs éclairciront la question dans l'avenir. Mais en attendant, il est légitime de se demander en quoi l'optimisme est-il utile ? Et plus précisément, est-ce qu'être optimiste favorise le bonheur ?

Comme le dit le docteur en psychologie Betty W. Phillip, l'optimisme est un état lié au bonheur mais ce n'est pas la même chose. L'optimisme est un terrain favorable. Il permet de mettre en œuvre les actions nécessaires pour surmonter les obstacles, pour éviter/se remettre des événements négatifs qui se produisent au cours de toute vie.
Le pessimisme, en revanche, conduit à baisser les bras plus facilement, à se noyer dans le négativisme, et à l'extrême : la dépression.

Les avantages de l'optimisme

Comme le montre Martin Seligman dans son livre Learned optimism, faire preuve d'optimisme comporte de multiples avantages. Je vous en propose ici un aperçu non exhaustif.

Les optimistes ont une meilleure santé

Une étude (Giltray et al., 2006a) a montré que les hommes optimistes ont moins de risques de mourir d'une maladie cardio-vasculaire que les pessimistes. Cette tendance a été confirmée également chez les femmes et élargie à d'autres maladies (Tindle et al., 2009), montrant que la tendance à la négativité a un impact négatif sur leur santé. Schultz et al. (1996) ont montré que le pessimisme réduit le taux de survie des jeunes malades atteints d'un cancer.
Une étude longitudinale ayant suivi 99 personnes pendant 35 ans a montré qu'être pessimiste au début de l'âge adulte conduit plus souvent à une mauvaise santé quelques années plus tard (Peterson, Seligman et Vaillant, 1988), ce qui tend à confirmer que c'est bien la tendance à l'optimisme ou au pessimisme qui influe sur la santé et non l'inverse.

Face au stress, l'efficacité du système immunitaire des pessimistes est plus fortement affectée (Bachen, Manuck, Muldoon, Cohen, & Rabin, 1991). De même après le décès d'un proche (Kivimäki et al., 2005).

Et même lorsque les optimistes ont une mauvaise santé, ils sont mieux armés que les optimistes. Par exemple, ils ont une meilleure qualité de vie après une opération chirurgicale (Fitzgerald, Tennen, Affleck, & Pransky, 1993 ; Scheier et al., 1989 ; Scheier et al. 1999) :
  • moins de risques pendant l'opération ;
  • plus de facilité à reprendre une vie "normale" après l'opération ;
  • moins de risque d'être à nouveau hospitalisé.

Santé mentale

Comme le souligne Seligman dans son livre Learned Optimism, le pessimisme est l'un des deux ingrédients de la dépression. Pour info, le second ingrédient est la rumination : des pensées négatives qui tournent en boucle dans la tête.
 

Hygiène de vie

On parle toujours de la santé, mais cette fois de façon indirecte.De façon générale, les optimistes ont des comportements qui préservent leur santé (Mulkana et al., 2001). Notamment, ils font preuve d'une meilleure hygiène dentaire, ce qui conduit à un moindre risque de pathologies dentaires, mais également cardiovasculaires dues à des infections dentaires (Ylöstalo et al., 2003).

Les optimistes ont également de meilleures habitudes alimentaires (Soliah, 2011). Ils mangent de façon plus équilibrée et ont un indice de masse corporelle plus faible (Kelloniemi et al., 2005). En d'autres termes, ils sont plus minces.

En revanche, les pessimistes ont une hygiène de vie plus risquée. En effet, on trouve plus de grands consommateurs d'alcool et plus de fumeurs réguliers chez les pessimistes (Kelloniemi et al., 2005).

lundi 20 janvier 2014

Qu'est-ce que l'hippopotomonstrosesquippedaliophobie ?

photo par oX-RunawaySmile-Xo


En matière de phobie, il y a rarement de quoi rire. C'est pourtant le cas avec le mot hippopotomonstrosesquippedaliophobie, qui fait référence à la peur... des longs mots.

La composition étymologique de ce terme semble tout faire pour effrayer celui qui en souffre :
En résumé, si l'on se contentait du terme sesquipedaliophobie, le sens n'en serait pas affecté. Le reste n'est que fioriture.
 
Vous aurez certainement remarqué que le terme hippopotomonstrosesquippedaliophobie est plus long qu'anticonstitutionnellement, mot pourtant réputé comme le plus long de la langue française. Cela signifie-t-il qu'il n'existe pas réellement ?
 
Si, ce terme existe bel et bien. Seulement, anticonstitutionnellement avec ses 25 lettres n'est que le plus long mot de la langue française usuelle. Il est fréquent que le vocabulaire spécialisé de telle ou telle discipline utilise des mots bien plus longs que celui-ci.
Glycosylphosphatidyléthanolamine, par exemple, est un terme de 32 lettres utilisé en médecine. Par contre n'allez pas me demander ce qu'il signifie.

En psychopathologie, on trouve d'autres phobies aux noms tirés par les cheveux, comme par exemple l'hexakosioihexekontahexaphobie (29 lettres), qui renvoie à la peur du nombre 666.

En revanche pour en revenir au sujet de l'article, l'hippomachintruc (marre de l'écrire), je doute que cela existe réellement. En tout cas je n'ai jamais rencontré d'hippopomonstrosesquippedialophobes, ni même vu de travaux sérieux sur le sujet. Si bien que je me demande si ce terme n'est pas tout simplement une invention d'élèves nuls en dictée qui ont la flemme de travailler leur orthographe.

lundi 13 janvier 2014

Comment réagit-on lorsqu'on se sent menacé ? 3/3 : fight


Souvenez-vous. Vous êtes un homme / une femme des cavernes et vous essayez d'échapper à un tigre à dents de sabre. Vous avez déjà tenté d'éviter d'être remarqué(e) (freeze), mais ça n'a pas fonctionné. Alors vous avez décidé de fuir (flight) pour lui échapper.

Mais ça n'a pas fonctionné non plus. Il vous court après. Ce tigre à dents de sabre ne vous lâche décidément pas la grappe. Malgré la peur qui vous donne des ailes, il va bientôt vous rattraper. Il faut trouver une autre idée si vous ne voulez pas vous faire bouffer.

Le combat : votre dernier recours

Si votre cerveau estime à un moment donné que fuir ne vous sauvera pas, il décide que le combat est votre dernière option. Il entre alors en mode "fight."
Le combat, dans le monde animal, constitue souvent un dernier recours face au danger. Même les lions, qui n'ont pourtant pas de prédateurs naturels, préfèrent fuir lorsqu'on les pourchasse.
 
Lorsque les guides locaux accompagnaient les colons blancs chasser le lion en Afrique - pour décorer leur salle à manger avec leur tête empaillée - ils leur prodiguaient un judicieux conseil :
Ne surtout pas acculer le lion contre un obstacle, comme un cours d'eau ou une falaise. Car tant qu'il avait la possibilité de fuir, l'animal préférerait courir pour échapper au chasseur. Mais s'il se retrouvait coincé, alors il se retournerait et se mettrait à attaquer. C'est à ce moment qu'il deviendrait le plus dangereux.
 
Contrairement à l'être humain, les autres animaux ont tendance à éviter d'avoir recours à la violence tant qu'ils le peuvent

Pas courageux les lions ?

Rien à voir avec le courage mais plutôt avec le bon sens. Réagir par le combat à chaque menace n'a aucun sens. Même quand on a le dessus sur son ennemi.
 
Au cours de la préhistoire, les animaux qui réagissaient par l'agressivité alors qu'il y avait une possibilité de fuir ou de se cacher couraient plus de risques de mourir ou d'être blessés. Ils ont donc moins survécu, et ont moins transmis leurs gènes que les autres, plus prudents.
Si bien que l'évolution de la plupart des espèces, y compris la nôtre, a été façonnée de façon à envisager le combat comme un dernier recours.

Il faut bien avouer que contre un tigre à dents de sabre, plein de griffes et de crocs, entraîné pour tuer, un être humain aura peu de chances de survie. Mais là encore, une émotion vient à votre rescousse : la colère.

La colère vous rend plus apte au combat

L'émotion de colère comporte certaines similitudes avec la peur. Par exemple, elle aussi provoque l'augmentation des rythmes cardiaque et respiratoire, sous l'effet de l'adrénaline. Mais elle comporte néanmoins des différences importantes :
  • Contrairement à la peur, la colère renforce le tonus de l'ensemble des muscles, pour pouvoir porter des coups précis avec une force supérieure à la normale.
  • La colère diminue la sensation de douleur.
  • Au niveau mental, elle entraîne une perte de la capacité à raisonner logiquement.
  • Elle diminue la capacité à envisager les conséquences de ses actes.
  • Elle conduit à une focalisation sur l'élimination de l'ennemi par la force.
  • De plus, beaucoup de personnes trouvent l'expérience de la colère plaisante. Non pas qu'ils soient contents d'être en colère, mais la colère les fait se sentir puissants, forts. Et ce sentiment leur est agréable, ce qui explique qu'ils n'aient pas envie de faire quelque-chose pour cesser d'être en colère (contrairement à la peur par exemple).
  • Enfin, l'expression qui se peint sur le visage est elle aussi différente de celle de la peur.
 
Les éléments qui composent l'expression de colère
 

Des effets pernicieux

La colère peut se révéler très utile pour mobiliser vos dernières ressources lorsque vous faites face à un tigre à dents de sabre. Mais la plupart du temps, de nos jours, elle se révèle contre-productive voire dangereuse.
Aujourd'hui, il est très rare que notre survie dépende de notre capacité à combattre efficacement un ennemi par la force. Les stimuli qui déclenchent la colère de nos jours constituent des menaces bien pâlichonnes comparées à l'attaque d'un tigre à dents de sabre : reproches au sein du couple, attente un peu longue à la caisse du supermarché, etc.

Pourtant, l'émotion de colère produit toujours les mêmes réactions dans le corps et le cerveau qu'à l'époque de l'homme des cavernes.

Il arrive que l'on se mette en colère pour de bonnes raisons. Face à une injustice infligée à soi ou à autrui par exemple. La colère est le moteur qui a conduit beaucoup d'associations à naître et à se battre pour faire changer les choses dans le bon sens. Elle est également à la base de nombreuses pétitions et décisions politiques positives.
Mais cette émotion, lorsqu'elle est mal gérée, devient dangereuse. Sa faculté à nous rendre crétins et à nous faire perdre la notion de conséquences de nos actes conduit à des faits divers tragiques, comme cet homme poignardé pour une histoire de cigarette, ou cet autre homme blessé alors qu'il tentait de protéger une femme des coups de son mari

Mais même sans aller jusqu'à la violence physique, la colère peut faire des ravages par les mots. C'est ce que je constate souvent avec les couples que je reçois en thérapie conjugale, lorsque les disputes deviennent le seul mode de communication face aux frustrations de l'un et/ou de l'autre.
 
Enfin, parfois la colère trouve d'autres voies pour s'exprimer, comme le recours à la justice. Dans les cas extrêmes, certaines personnes accusent à tort les personnes contre lesquelles elles sont en colère. Le fait de porter plainte est dans ce cas une arme symbolique.

Et vous, qu'est-ce qui vous met le plus en colère ?

jeudi 9 janvier 2014

Comment réagit-on lorsqu'on se sent menacé ? 2/3 : flight

Résumé de l'épisode précédent : vous êtes un homme / une femme des cavernes et vous tombez nez à nez avec un tigre à dents de sabre. Comment réussir à survivre ? Vous pensiez que l'animal ne vous avait pas encore vu, vous avez donc tenté d'éviter de vous faire remarquer (freeze). Manque de bol, ça n'a pas marché. Le tigre vous a repéré.

Alors que le suspens est à son comble (si si, je suis sûr que vous n'en avez pas dormi de la nuit !), je vais enfin vous révéler la suite.
Fuyez, pauvres fous !
(Si vous ne comprenez pas, c'est que votre culture geek mérite sérieusement d'être étoffée)
 

La fuite, votre roue de secours

Dans son livre Emotions Revealed (p. 154), Paul Ekman raconte une anecdote. Alors qu'il approchait un groupe de singes, la plupart d'entre eux s'immobilisaient à son approche (freeze). Mais lorsqu'il approchait encore plus, et que la direction de son regard ne laissait aucun doute sur le singe auquel il s'intéressait, celui-ci se mettait à fuir.

Revenons à notre tigre à dents de sabre et à la manière de lui échapper. Nous avons vu que le plus efficace serait d'éviter qu'il vous repère. Mais si c'est déjà fait, trop tard. Obligé(e) de trouver une autre alternative.
 
L'animal se trouve à une distance raisonnable, vous avez encore une chance de lui échapper si vous fuyez. On peut imaginer qu'avec vos petites jambes, vous aurez du mal à distancer un animal de cette taille, habitué à courir pour chasser ses proies. C'est vrai, mais quelle alternative avez-vous ? Et puis là encore, l'évolution vient à votre rescousse, par le biais d'une émotion : la peur.

La peur favorise la fuite. L'émotion de peur déclenche tout un tas de réactions corporelles qui préparent le corps à fuir de façon efficace :
  • L'augmentation des rythmes cardiaque et respiratoire permet une meilleure irrigation des muscles pour une plus grande efficacité.
  • La sudation, les fameuses "sueurs froides," refroidissent le corps et diminuent ainsi l'échauffement dû à l'effort pendant la fuite.
  • Le sang quitte les capillaires sanguins pour irriguer les grands muscles des jambes, permettant une course plus rapide mais diminuant la force et la température des autres muscles du corps : bras, mains et doigts notamment.
  • Certaines fonctions du corps non indispensables dans l'immédiat sont "éteintes", comme le contrôle de la vessie ou encore la digestion par exemple, ce qui explique la sensation de "boule au ventre" que ressentent les anxieux. 
  • Une expression faciale caractéristique se peint sur le visage. Certains pensent qu'elle sert (ou servait) avant tout à prévenir nos congénères du danger. D'autres suggèrent que les yeux grands ouverts permettent d'intégrer plus d'informations visuelles.

Les éléments qui composent l'expression faciale de peur sont : sourcils levés et rapprochés, paupières supérieures ouvertes, paupières inférieures tendues, lèvres légèrement étirées horizontalement en direction des oreilles

Au niveau mental, il se produit aussi un certain nombre de réactions :
  • vigilance accrue ;
  • "court-circuitage" des processus de raisonnement rationnel ;
  • stockage des détails de la situation avec une précision remarquable (ce qui permettra au cerveau de déclencher à nouveau une réaction de peur si il rencontre un des éléments de la scène en cours dans le futur) ;
  • concentration sur la menace potentielle et sur les moyens d'y échapper.
L'ensemble de ces réactions vise à favoriser une action efficace en cas de danger imminent pour l'intégrité physique. Il s'agit d'une réaction tout à fait adaptée aux dangers que l'on pouvait rencontrer à l'époque de l'homme des cavernes (prédateurs, feu de forêt, montée des eaux, éboulement de pierres, etc.).

Observez la réaction de peur de cette victime d'une caméra cachée qui se retrouve face à un dinosaure : d'abord il s'immobilise (freeze), puis il fuit (flight).

La fuite, c'est has been

Le problème, c'est qu'aujourd'hui il est rarement possible d'échapper à ce qui nous fait peur par la fuite. Les choses qui nous font peur nous menacent de façon plus abstraite (estime de soi, respect, etc.) ou à plus long terme (perte d'emploi, etc.).

Pourtant, si vous craignez quelque-chose, votre cerveau produira toujours cette réaction émotionnelle vous préparant à la fuite. Peu importe que cela soit approprié ou non.
 
C'est elle qui vous fera bafouiller lorsque vous parlerez devant un public, qui vous rendra mal assuré lorsque vous pratiquerez un geste technique sous le regard d'un superviseur, qui vous empêchera de dormir quand vous vous ferez du souci la nuit dans votre lit...

Ce fonctionnement se révèle parfois encore plus pernicieux, puisqu'il constitue un élément central dans le développement des syndromes de stress post-traumatique, des phobies et des troubles anxieux en général. Heureusement, de nos jours la psychothérapie se révèle très efficace pour régler ce genre de problèmes.

Mauvaise nouvelle

Arf ! Vous avez beau courir aussi vite que vous le pouvez, le tigre à dents de sabre qui vous poursuit gagne du terrain. Il va bientôt vous rattraper. Comment allez-vous faire pour vous en sortir ?
 
Pour vous assurer de ne pas rater la suite de cet épisode, vous avez deux solutions :

Option 1, la newsletter.

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Option 2 : Twitter

lundi 6 janvier 2014

Comment réagit-on lorsqu'on se sent menacé ? 1/3 : freeze

Lorsqu'une victime de viol trouve le courage de porter plainte, elle se retrouve immanquablement confrontée à la mauvaise foi de son agresseur. Presque à tous les coups, celui-ci se défend lors du procès en invoquant le consentement de la victime. "Elle était d'accord. D'ailleurs, elle ne m'a pas repoussé."
Il est vrai que certaines victimes de viol restent immobiles pendant leur agression. Mais cela n'a rien à voir avec un quelconque consentement de leur part. Elles sont tout simplement paralysées par la peur.

Vous avez peut-être déjà entendu le terme réponse fuite ou combat (en anglais fight or flight response). Ce phénomène a été décrit pour la première fois dans les années 1920 par le physiologiste américain Walter Cannon. Cannon avait remarqué qu'une chaîne de réactions réflexes se produisait dans le corps lorsqu'un individu se trouvait dans une situation menaçante.

Cependant, comme l'explique Joe Navarro dans son livre What every body is saying, le nom donné à ce processus, "fight or flight," est non seulement incomplet, mais en plus les mots se retrouvent dans le désordre. En effet, il serait plus juste de parler de réponse freeze, flight or fight puisque chaque animal, y compris l'être humain, passe par ces trois phases lorsqu'il se sent menacé.

Remontons à l'époque de l'homme des cavernes. Imaginons que vous marchez à la recherche de votre repas de midi, non pas en vous rendant à un camion pizza mais en parcourant la savane, puisqu'à cette époque les hommes doivent chasser pour nourrir leur petite famille.

Bref, vous parcourez la campagne à la recherche de gibier à vous mettre sous la dent et vous apercevez au loin un tigre à dents de sabres. Quelles options avez-vous pour survivre ?
 
 "Gentil, le chat !"

1. Première solution : freeze (gel)

Si le félin ne vous a pas encore vu, autant que ça reste comme ça. C'est en évitant d'être remarqué que vous avez le plus de chances de survie.
Il y a plusieurs façons de se comporter pour demeurer hors de l'attention de la bête. Vous pouvez tout simplement mettre un obstacle entre vous et les yeux de l'animal, en vous cachant derrière un rocher jusqu'à ce qu'il s'éloigne par exemple.

Mais votre premier réflexe, comme chaque être humain qui se retrouve face à un danger potentiel et même la plupart des animaux, sera de vous immobiliser le temps d'analyser la menace, comme si vous étiez gelé (en anglais « freeze »).

Pourquoi ? Ce réflexe semble avoir été implanté en nous au cours de notre évolution parce que les prédateurs remarquent plus facilement les cibles en mouvement. En restant immobile, vous courez moins de risque d'être repéré.
 
Une autre variante consiste à faire le mort. L'opossum, animal de la famille des marsupiaux, est passé maître en la matière. Lorsqu'il se sent menacé par un prédateur, l'opossum simule sa mort avec un remarquable souci du détail. Les membres raides, l'écume sortant de sa bouche il est même capable de produire une odeur de putréfaction qui décourage la plupart du temps ses agresseurs. Sans aller jusque-là, il arrive également à l'homme de simuler la mort en présence de danger.

Un opossum jouerait-il mieux la comédie que Marion Cotillard dans Batman ?


Je vous accorde qu'il serait probablement inutile et même dangereux de chercher à faire le mort dans l'espoir d'échapper à un tigre à dents de sabre, puisque cet animal se nourrissait de viande crue. Cependant, lors des tueries qui ont eu lieu dans des lycées américains, à Columbine par exemple, ce réflexe a sauvé la vie de plusieurs lycéens.

Alors que les forcenés venaient de rentrer dans leur classe et de tirer une rafale de balles sur les élèves, certains qui n'avaient pas été touchés sont pourtant restés inertes, comme morts. Les tueurs, ne voyant plus aucun mouvement, ont tourné les talons à la recherche d'autres cibles.

Dans ce cas, le réflexe de faire le mort a probablement sauvé la vie de ces lycéens. S'ils avaient paniqué, cherché à s'échapper ou tout simplement crié, les tireurs les auraient probablement pris pour cible à nouveau.

Ce réflexe de faire le mort a été mis en œuvre de façon automatique, immédiate. Les lycéens n'étaient pas préparés à l'arrivée de tueurs fous débarquant dans leur salle de classe avec des armes à feu. Rares sont les personnes qui imaginent un jour se retrouver dans ce cas de figure et se préparent à réagir.
 
Difficile d'imaginer quelqu'un se dire "si jamais ma classe se fait canarder par une bande de malades, je ferai semblant d'être mort pour qu'ils me laissent tranquille." Non, cette réaction a été mise en place de façon réflexe, sans passer par un processus de réflexion. Il s'agit d'un instinct ancré dans nos gènes, comme chez l'opossum.


Pour faire le mort, certains animaux sont meilleurs acteurs que d'autres.

Par contre, j'ai une mauvaise nouvelle. Le tigre à dents de sabre vous a vu. Il va falloir trouver une autre solution pour lui échapper.

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