En 1967, à l’université d’État de l’Oregon, un étudiant un peu spécial vient assister au cours du professeur Charles Goetzinger. Il se présente à chaque cours caché sous un sac noir en nylon, dont dépasse uniquement ses pieds. Tous les lundis, mercredis et vendredis à 11H du matin, le sac noir s’installe parmi les autres étudiants, sur une chaise près du fond de la classe.
Au départ, les autres étudiants sont plutôt choqués par la présence de ce sac noir dans leur cours et éprouvent de l’hostilité à son égard.
Mais à force de le côtoyer jour après jour, ils passent de l’antipathie à la curiosité, puis s’y habituent et finissent même par l’apprécier, au point de le protéger du harcèlement dont il fait preuve de la part des médias dont son histoire suscite l’attention.
Selon Robert Zajonc, cette histoire illustre le fait que la simple exposition répétée à un stimulus – comme une personne, un objet, un lieu, un son – provoque une attitude positive envers ce stimulus.
Dans l’une des expériences que ce chercheur a réalisées et qu’il a développées dans un article en 1968, des sujets ont été exposés à des caractères chinois inconnus.
Officiellement, l’expérience était censée porter sur l’apprentissage d’une langue étrangère. Dans un premier temps, les chercheurs montraient les idéogrammes aux sujets. Certains d’entre eux étaient montrés une seule fois à chaque sujet. D’autres deux fois, cinq fois, dix fois ou encore 25 fois.
Puis, dans une seconde phase de l’expérience, on demandait aux sujets de deviner si le caractère avait un sens positif ou négatif. Et ce qui s’est passé, c’est que plus les sujets avaient été exposés à un caractère, plus ils lui attribuaient un sens positif.
Cet effet de simple exposition, qu’on appelle aussi principe de familiarité, a également été démontré sur toutes sortes de choses, comme des mots, des personnes, des tableaux, des figures géométriques, des portraits et des sons. La conclusion est la même quel que soit le stimulus : la familiarité provoque la préférence.
En même temps, ce n’est pas vraiment une surprise. Depuis bien longtemps on se doutait que c’est l’un des principes sur lesquels repose l’efficacité de la publicité. C’est pour ça que les marques n’ont pas forcément besoin de faire preuve d’inventivité dans leurs spots publicitaires et qu’elles peuvent se contenter de nous bombarder avec leurs logos.
C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles il leur arrive de passer leurs publicités trois fois de suite. [mercurochrome, le pansement des héros !]
Mais le plus étonnant, c’est que l’exposition n’a pas besoin d’être consciente pour fonctionner.
En 1980, Ion et Stromeyer ont réalisé une expérience qui s’est déroulée en deux phases. Dans la première phase de leur expérience, ils ont montré aux sujets 10 formes géométriques, mais seulement pendant 1 milliseconde chacune. Un temps très court, suffisant pour percevoir le flash lumineux, mais insuffisant pour reconnaître la forme affichée. Les chercheurs ont néanmoins demandé aux sujets de bien regarder l’écran pendant tout le temps de l’exposition.
Dans la seconde phase, ils ont montré aux sujets un assortiment de 20 formes géométriques, parmi lesquelles se trouvaient les 10 qu’on leur avait flashées dans la première phase et on leur a demandé de choisir les formes qu’ils préféraient.
Et ce qui s’est passé, c’est que les sujets ont choisi les formes qu’on leur avait flashées, même s’ils n’avaient pas pu les reconnaître.
Vous aurez reconnu le principe de l’image subliminale : une image présentée tellement rapidement qu’elle ne peut pas être perçue consciemment, et qui aurait pourtant un effet sur le comportement du spectateur.
Cet effet, bien qu’assez faible en situation réelle, a amené Zajonc à proposer l’hypothèse de la primauté affective.
Selon cette hypothèse, si le stimulus présenté n’a pas besoin d’être reconnu consciemment pour avoir un effet sur le comportement, cela signifie que la réaction affective à son égard n’a pas besoin de faire intervenir le raisonnement.
Autrement dit, on déciderait qu’une chose est bonne ou mauvaise avant d’y réfléchir, avant de peser le pour et le contre.
Cette hypothèse, dont on reparlera probablement dans une future vidéo, pourrait bien expliquer la pauvreté des arguments de certaines personnes quand elles défendent leurs opinions.
Pour en conclure avec l’effet de simple exposition, je voudrais parler de la façon dont il affecte notre vie quotidienne.
Déjà, premièrement, même si vous n’accordez aucune attention à une publicité, tant qu’elle est dans votre champ de vision ou d’audition, elle va quand-même avoir un effet sur vous. Ce qu’il y a de pernicieux avec l’effet de simple exposition, c’est qu’il influence vos choix sans que vous le sachiez, et même si vous pensez être immunisé. Donc même quand vous profitez de la pause pub pour aller faire valser la goutte ou pour vous préparer un sandwich, si vous entendez un slogan ou un nom de produit vous serez plus susceptible d’acheter le produit en question.
Et deuxièmement, sachez que l’effet de simple exposition affecte vos choix politiques. Lorsque les médias vous bombardent à longueur de temps avec certaines personnalités tandis qu’ils omettent, volontairement ou non, de vous en présenter d’autres, ils influencent votre vote.
Lors des dernières élections présidentielles, c’est en partie à cause de l’effet de simple exposition que vous avez préféré voter Macron, Mélenchon ou Le Pen plutôt qu’un candidat moins médiatique comme, au hasard, Asselineau par exemple.
Alors évidemment, vous allez me dire qu’il y a bien d’autres facteurs qui influencent votre vote, comme vos opinions, le programme des candidats, leur façon de s’exprimer, votre choix de voter utile ou non, etc. Et vous aurez raison. Heureusement, si l’effet de simple exposition a une portée bien réelle, elle reste plutôt faible comparée à celle d’autres facteurs, ce qui est plutôt rassurant.
Ceci dit, si vous découvrez un candidat seulement trois jours avant le début des élections, peu importe son expérience ou la qualité de son programme : il aura toujours l’air moins crédible que ses opposants que vous voyez depuis des années passer à la télévision.
Ceci dit, si vous découvrez un candidat seulement trois jours avant le début des élections, peu importe son expérience ou la qualité de son programme : il aura toujours l’air moins crédible que ses opposants que vous voyez depuis des années passer à la télévision.
Enfin, notez quand-même que l’effet de simple exposition peut être à double tranchant, car si on en abuse, ce qu’on voulait vous faire aimer devient tellement irritant que vous allez au contraire finir par le détester.
Donc en résumé, si vous voulez vous faire apprécier, que ce soit pour des raisons commerciales, professionnelles ou même personnelles, la première étape consistera à montrer que vous existez. Faites-vous connaître. Affichez-vous, engagez la conversation, mettez des photos de vous, de vos produits ou de votre logo. Mais par contre, faites bien attention à vous arrêter avant de commencer à devenir pénible.
Sources
- Ion, V. R., & Stromeyer, C. F. (1980). Affective discrimination of stimuli that cannot be recognized. Science, 207, 1.
- Murphy, Sheila T.; Zajonc, R. B. (1993). "Affect, cognition, and awareness: Affective priming with optimal and suboptimal stimulus exposures". Journal of Personality and Social Psychology. 64 (5): 723–739.
- Suedfeld, P., Rank, D., & Borrie, R. A. (1975). Frequency of Exposure and Evaluation of Candidates and Campaign Speeches1. Journal of Applied Social Psychology, 5(2), 118-126.
- Vavreck, L. (07/10/2014) A campaign dollar’s power is more valuable to a challenger - https://www.nytimes.com/2014/10/08/upshot/a-campaign-dollars-power-is-more-valuable-to-a-challenger.html?_r=0
- Vleugel, A. (2012), Ten unusual experiments in the name of science – the black bag experiment. UA magazine – https://www.ua-magazine.com/ten-unusual-experiments-in-the-name-of-science-the-black-bag-experiment/.WMvh2WfjKUl#.WNWD3mfjKUk
- Zajonc, R. B. (1968). Attitudinal effects of mere exposure. Journal of personality and social psychology, 9(2p2), 1.
- Zajonc, R.B. (February 1980). "Feeling and thinking: Preferences need no inferences". American Psychologist. 35 (2): 151–175.
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