Le 9 novembre 2006, Donald Rumsfeld donne une conférence à l’université d’État du Kansas. Lorsque vient le moment des questions, un étudiant lui demande quelle note il se donnerait à lui-même pour évaluer sa performance en tant que secrétaire à la Défense des Etats-Unis. Et la réponse du politicien, comme vous pouvez le voir dans la vidéo, s’accompagne d’un geste plutôt équivoque.
En France, le 27 août 2014 c’est Michel Sapin, alors ministre des finances, qui fait un doigt en direction des caméras alors qu’il se rend à l’Elysée. Le cabinet du ministre, contacté par un journaliste, explique qu’il ne s’agit pas du tout d’un doigt d’honneur puisque le majeur n’est pas pointé en l’air.
C’est vrai, même si le geste ressemble à un doigt d’honneur, il n’en a pas toutes les caractéristiques.
Des exemples comme ça, il en existe plein. Barack Obama, Henri Emmanuelli, Barack Obama ou encore... Barack Obama.
Mais bien entendu, aucune de ces personnes n’a admis publiquement que son geste était vraiment un doigt d’honneur. Alors pour quelle raison ces gestes ont-ils eu lieu ? S’agissait-il de tics corporels, un peu comme une version non-verbale du syndrome de Gilles de La Tourette ? S’agissait-il de provocations délibérées à peine dissimulées ?
On peut également envisager que ces gestes se soient produits totalement par hasard, et que seul l’œil du spectateur perçoive un geste insultant.
On peut également envisager que ces gestes se soient produits totalement par hasard, et que seul l’œil du spectateur perçoive un geste insultant.
Mais il existe une quatrième possibilité : ces gestes pourraient bien être ce qu’on appelle des fuites, c’est à dire des gestes qui reflètent l’état d’esprit de leurs auteurs malgré leur tentative pour le dissimuler.
En gros, des mouvements qui se produisent en échappant à notre contrôle, en dépit de toute tentative de dissimuler certaines de nos pensées ou émotions. En somme, ce serait des lapsus non-verbaux. C’est du moins ce qui ressort des recherches menées par plusieurs chercheurs sur le sujet, et notamment par Paul Ekman.
En gros, des mouvements qui se produisent en échappant à notre contrôle, en dépit de toute tentative de dissimuler certaines de nos pensées ou émotions. En somme, ce serait des lapsus non-verbaux. C’est du moins ce qui ressort des recherches menées par plusieurs chercheurs sur le sujet, et notamment par Paul Ekman.
Les gestes emblèmes
Le doigt d’honneur, au même titre que d’autres gestes comme l’index sur la bouche pour dire de se taire, l’index replié pour indiquer à une personne de se rapprocher ou encore le haussement d’épaules, fait partie d’une catégorie de gestes que David Efron avait appelé en 1941 les emblèmes.
Il s’agit de gestes dont le sens est précis, contrairement à la plupart des gestes qui illustrent nos paroles, mais qui n’ont de signification qu’à l’intérieur d’un même groupe ou d’une même culture. C’est à dire des gestes qu’on ne peut interpréter que si on en connaît la signification.
Par exemple, si je vous adresse un signe en V en dressant à la fois mon index et mon majeur en gardant ma paume face à moi, il y a peu de chance que vous vous sentiez insulté, sauf si vous venez du Royaume-Uni, d’Irlande ou d’Australie. Car dans ces pays, ce geste a la même valeur d’insulte que le doigt d’honneur.
Et si je vous fais ce signe, selon votre pays d’origine vous penserez que je vous indique que tout est ok, ou au contraire que je vous traite de trou du cul.
De même, le doigt d’honneur n’a pas une signification universelle. Il existe plein de pays qui n’ont aucune connaissance de ce geste et où un majeur dressé ne générera pas de réaction. Sur cette photo, par exemple, on voit des enfants brandir leur majeur en souriant, sans avoir connaissance de la portée de leur geste.
Photo : John Christian Fjellestad |
Des gestes emblèmes comme ça, il en existe environ une soixantaine dans la culture occidentale :le signe peace, le pouce levé, la tête qui fait oui, non ou peut-être, le plat de la main pour dire stop, etc.
Leur point commun, ce qui les distingue des autres gestes, c’est leur sens très précis. Même en dehors de toute parole, il est facile de les comprendre. Ils peuvent remplacer des mots ou même des phrases.
Ces gestes sont habituellement produits volontairement. Mais il arrive qu’ils se produisent en dehors du champ de conscience de leur auteur. On parle alors de lapsus emblématiques.
Comment savoir si un emblème est volontaire ou insconscient ?
Paul Ekman, dans son livre intitulé Je sais que vous mentez, explique qu’il y a deux critères pour déterminer si un geste emblème a été produit volontairement ou s’il s’agit d’une fuite.
Premièrement, si l’emblème est produit volontairement, le geste sera complet. Alors que s’il s’agit d’une fuite, le geste pourra éventuellement n’être exécuté qu’en partie. Pour un doigt d’honneur, par exemple, si le geste est produit volontairement, non seulement le majeur sera dressé vers le haut, mais les autres doigts seront repliés et la main sera brandie en avant. Alors que si le geste est inconscient, le bras pourra rester penché et/ou les doigts pourront être moins pliés.
Pour le signe « non » de la tête, s’il est volontaire la tête se tournera plusieurs fois franchement d’un côté et de l’autre, alors que s’il s’agit d’une fuite, le geste sera moins ample et la tête ne fera qu’un ou deux allers-retours très rapides.
Pour le signe « non » de la tête, s’il est volontaire la tête se tournera plusieurs fois franchement d’un côté et de l’autre, alors que s’il s’agit d’une fuite, le geste sera moins ample et la tête ne fera qu’un ou deux allers-retours très rapides.
Cela englobe également les emblèmes qui se produisent à l’occasion d’autres gestes, comme se gratter le nez avec le majeur par exemple, ou se tenir la tête en laissant ce doigt bien en évidence.
L’autre façon de savoir si un emblème est produit volontairement, c’est sa position. La plupart des emblèmes volontaires se font devant l’interlocuteur et à sa hauteur. Mais un emblème fuité pourra se produire dans une position différente de la position habituelle. Le doigt d’honneur pourra être fait en laissant la main reposer sur son genou ou bien dans une direction qui ne fait pas face à l’interlocuteur.
Le geste de la main qui signifie « stop » pourra être fait vers le bas au lieu de faire face à sa cible.
Conclusion
Vous aurez certainement remarqué que ces deux indices – le fait que le geste soit complet ou non, et sa position – ne suffisent pas à expliquer tous les doigts d’honneurs que je vous ai montrés en début de vidéo. Notamment celui d’Henri Emmanuelli. Même si son geste se produit rapidement et que son auteur ne regarde pas sa cible, ça ressemble quand-même à une insulte volontaire.
Mais pour ce qui est de l’analyse de la communication non-verbale, ça n’a pas d’importance, puisque dans les deux cas, qu’il s’agisse d’un geste inconscient ou volontaire, il reflète très bien l’état d’esprit de son auteur.
Sources
- Up To Snuff – 20/09/2015 – It always sticks up for me – https://uptosnuffblog.wordpress.com/2015/09/20/it-always-sticks-up-for-me/
- David Efron (1941) Gesture and Environment
- University of West Florida – Behavior and Etiquette – Other Physical Gestures: Beckoning and American Gestures – http://uwf.edu/atcdev/Afghanistan/Behaviors/Lesson8PhysicalGestures.html
- Expat Info Desk – 6 Innocent Hand Gestures That Can Land You in Hot Water Overseas – https://www.expatinfodesk.com/blog/2011/08/02/5-innocent-hand-gestures-that-can-land-you-in-hot-water-overseas/
- LePoint.fr – Publié le 07/06/2011 – Emmanuelli fait un doigt d’honneur à Fillon – http://www.lepoint.fr/politique/emmanuelli-fait-un-doigt-d-honneur-a-fillon-07-06-2011-1339603_20.php